lundi 9 juin 2014

My sweet pepper land : du poivre doux-amer comme ingrédient secret ?

Un article cinéma en retard... J'ai mis le temps, parce qu'on a toujours peur de ne pas réussir à parler comme on voudrait de ce qu'on adore... (A ce sujet, ne manquez pas le dernier post cinéma d'Iliana sur Only lovers left alive... que vous l'ayez vu ou non!)

Le dernier film de Hiner Saleem est une perle. Je ne sais pas si les précédents lui étaient comparables, ni si les dialogues étaient de la même trempe, mais je vais m'empresser de vérifier.
Une perle à bien des points de vue...
De toute évidence d'abord pour sa photographie, ses paysages splendides, montagneux, orageux, brumeux, oranges, roses, bleus...


... et sa bande-son. La musique, mais aussi les voix, et les langues. Cette chanson que Baran, adorant pourtant Elvis et Mozart, chante à Govend dans sa langue natale, vous caresse et vous berce, vous envoûte...  Et bien sûr, il y a la magnifique séquence de hang drums...
Un instrument qui m'ennuie assez vite écouté seul, mais superbe dans une atmosphère singulière.

Et la manière de filmer. Je conserve le souvenir d'un long plan fixe où les deux personnages se regardent, et où nous les regardons se regarder à travers un voile qui se soulève au gré du vent, masquant les visages puis les révélant... De cette idée simple naît une grande beauté, une émotion pure.

Pour Korkmaz Arslan, il s'agissait d'un premier grand rôle. Cela paraît assez ahurissant tant il est intense. Il lui fallait sans doute le bon personnage :


Dans le film, son sang-froid (presque) inébranlable et son audace vertueuse sont servis par un regard d'une intensité rare, plein d'ironie et d'intelligence.



D'ailleurs, soyons francs : on tombe amoureux dans les cinq minutes de ces deux personnages téméraires, droits et simples dans leur courage, et si beaux, si charismatiques surtout. 



Interview post-it de Golshifteh Farahani
(pas principalement sur ce film) 

Ce film d'amour aide à découvrir une région du monde que les médias ne nous permettent pas vraiment de connaître. Le choc des cultures traditionnelle et moderne frappe. Chevaux contre 4x4, fratrie dominante contre père libéral, hommes crispés contre femmes rebelles... Qu'en sortira-t-il ? C'est tout l'enjeu du film, et vous comprendrez pourquoi, une fois de plus, je n'insère pas la vidéo d'une bande-annonce qui en dit trop.

Il joue également avec bonheur la partition renouvelée du western (non plus spaghetti, mais... balcanî ?) : regards de défi, postures de duel, phrases coupantes, affrontement déséquilibré en nombre, portes qui battent au vent et cliquetis des cavaliers, caravanes de contrebande, armes toujours à portée de main, atmosphère lourde de menaces, donnent à ce Kurdistan une allure assumée de Far West, entre l'hommage et la parodie. C'est particulièrement savoureux. 



Après tout, une institutrice et un "shérif" intègres et libres qui luttent contre la corruption d'un village, tout à l'est du Pecos, et tombent amoureux, peut-on faire plus cliché ? Et peut-on faire avec cela un film moins cliché, qui ose faire rire ? 
 
Car j'ai gardé le meilleur pour la fin : les dialogues, aiguisés et parcimonieux, les situations, les personnages (consciemment ou non) véhiculent un humour ravageur et plus qu'audacieux qui ose s'amuser de tout, qui va très loin, qui fait sourire de la mort et désamorce la peur. Il s'agit d'un véritable tour de force qui rend au rire toute sa puissance sur l'horreur et sur les gens tendus à se rompre. Moments impromptus de comédie sociale tissés dans la toile tragique, ridicules de l'imbécile et de l'amoureux, grotesque et sublime se mêlent à la perfection et sans arrêt, ballotant le spectateur embarqué (et enchanté) d'une émotion à une autre. 

C'est donc un film dont on sort heureux. La tentation de céder à la noirceur perd pied, et c'est toute cette petite terre kurde, toute l'opacité de crainte et d'inconnu qui entoure en Europe le Moyen-Orient qui s'illumine à nos esprits conquis.

Un autre extrait du début

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